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Alpha et Moussa Moolo Baldé : Ces héros « méconnus » qui font la fierté du Fouladou

20 Juil 2016

Dernier né des royaumes au Sénégal, le Fouladou a été fondé dans la seconde moitié du XIXe siècle par Alpha Molo Baldé qui a libéré les Peuls du joug des Mandingues. Son œuvre a été parachevée par son fils, Moussa Moolo, qui mènera le royaume à son apogée. Ces deux héros remarquables et personnalités exceptionnelles qui ont écrit les plus belles pages de l’histoire du Fouladou n’ont pas l’aura des Samory, El Hadji Omar, Lat Dior ou Alboury Ndiaye, mais bénéficient aujourd’hui comme hier de la reconnaissance des populations de cette partie de la Casamance.

À Kolda, Alpha Moolo et Moussa Moolo Baldé, deux figures emblématiques du royaume du Fouladou, ont laissé des empreintes indélébiles. Ces deux personnages qui ont joué au XIXe siècle un rôle très important dans l’histoire casamançaise en général et dans l’histoire du Fouladou en particulier, font la fierté des populations. Aujourd’hui, plusieurs édifices portent leur nom : lycée, écoles, pharmacies, équipe de football, etc., en reconnaissance à ces héros qui ont libéré les Peuls du joug des Mandingues qui régnaient en maîtres absolus avant la création du Fouladou. Cette fierté des populations à l’égard de leurs héros, le professeur d’histoire et de géographie à la retraite, M. Sadiki Sall, l’explique par une appropriation d’un patrimoine par rapport à une domination. Selon M. Sall, la résistance au pouvoir mandingue et colonial et son implantation en Casamance orientale font aussi partie des éléments de cette fierté du Fouladou. « Je garde toujours une idée que j’ai prise de Cheikh Anta Diop. Il est bon de connaître l’histoire non pas pour s’en complaire, mais pour comprendre. Cette fierté nous permet de comprendre. Parce que partout, il y a des dessous qui ne sont pas très illustres, très beaux », note Sadiki Sall. À en croire l’historien, c’est pour des besoins identitaires que les Koldois se réclament du patrimoine du Fouladou, celui-ci étant gage de la quête de la liberté dans le sens où ils se sont battus pour avoir la leur vis-à-vis des Mandingues, des colonisateurs français. « Au moins, nous leur sommes redevables de cela », indique l’enseignant.

Si les hauts faits d’armes d’Alpha Moolo et de son fils, Moussa, sont encore vivaces dans les esprits, ces deux guerriers n’ont pas eu l’aura de Lat Dior, de Ndiadiane Ndiaye ou encore d’Alboury Ndiaye. Ils ne sont pas méconnus, mais ne sont pas aussi connus comme il se devait. Cela résulte du fait que l’histoire du Fouladou n’est pas, selon M. Sadiki Sall, suffisamment bien enseignée au Sénégal. « Dans les programmes scolaires, l’histoire du royaume du Fouladou n’est pas bien spécifiée. On n’étudie qu’un contexte de la résistance ; maintenant c’est aux professeurs de prendre la liberté de contextualiser selon la zone où ils servent », relève l’enseignant, estimant d’ailleurs que l’histoire du royaume du Gabou est plus étudiée que celui du Fouladou. « Le Gabou a une histoire orale assez prégnante en raison de Tourma Kansala. Les griots l’ont assez chanté. Il y a eu du populisme autour de l’histoire de ce royaume », indique-t-il. « Au Fouladou par contre, il y a un sentiment chez les populations que Moussa Moolo était un malaimé en raison de sa politique, sa rigueur, sa dureté, son autoritarisme, mais aussi des mythes sur sa personne », ajoute-t-il. Pour le professeur Sall, tout cela est à mettre dans le compte de l’adversité.

Une place très congrue dans l’histoire Le Fouladou n’a pas eu la longévité de l’empire Songhaï ni des royaumes Mossi, du Tekrour ou encore celle du Djolof, mais a produit deux valeureux souverains qui ont marqué leur époque par leur force, leur courage et leur détermination. Alfa Moolo Baldé, son fondateur, et Moussa Moolo, son fils, ont laissé leurs traces dans l’histoire de ce royaume éphémère du Fouladou. Même s’ils reposent en terre non casamançaise : le père à Dandou, en Guinée-Bissau et le fils à Keserekunda, en Gambie. M. Sall estime que le Fouladou joue un « petit rôle » dans l’histoire de la Casamance, car il n’existait pas auparavant. « C’était un territoire sous domination mandingue, donc du royaume du Gabou qui existe depuis le XIIe siècle », précise-t-il. C’est pour cette raison, relève Sadiki Sall, que le Fouladou occupe une « place très congrue » dans l’histoire du Sénégal. « Quant à l’histoire de la Casamance, poursuit-il, elle est faite d’expansions, de colonisation ». « Il y a une sorte de liens entre tous les territoires de l’Afrique occidentale. Au XIXe, ce sont des liens fondés sur des résistances et des querelles ; c’est devenu événementiel », a laissé entendre l’historien, affirmant que sur le plan de la civilisation, « très peu de travaux existent là-dessus ».

Soulabaly, le point de départ… On ne saurait évoquer l’histoire d’Alpha Moolo et de son fils Moussa Moolo sans prendre comme point de départ Soulabali, une localité située à 30 km de Kolda, sur la route de Pata. Selon le maire de Ndorna, Souleymane Diamanka, El Hadji Omar Foutiyou Tall, de passage à Soulabaly, a été bien reçu par Coumba Oudé, épouse de l’Alpha Moolo. Il lui a formulé des prières pour la mère de Moussa, à savoir Coumba Oudé. Le Cheikh lui aurait prédit un garçon promu à un grand avenir. La prédication du grand marabout toucouleur se confirmera avec la naissance de Moussa Moolo.

Le marabout lui aurait dit s’il voulait fonder quelque chose de durable et de pérenne, il lui fallait partir de l’est vers l’ouest. C’est ce qui explique, selon lui, que dans sa conquête du pouvoir, Moussa Molo a quitté ainsi Cita Diouba pour Yéri Koye (l’arbre blanc) avant de s’installer à Hamdallaye. Aujourd’hui, les traces du natif de Halwar sont encore visibles à Soulabaly. « Un puits a été foré à l’endroit où El Hadji Omar Tall s’acquittait de ses prières quotidiennes. On est en train d’ériger un mausolée au lieu où repose la maman de Moussa Moolo, Coumba Oudé », révèle Souleymane Diamanka, maire de Ndorna.

Alpha Moolo, le libérateur  Selon le professeur d’histoire et de géographie à la retraite, Sadiki Sall, Alpha Moolo Baldé, Moolo Egue Baldé de son vrai nom, est originaire d’une famille bambara et captive. Son maître, Samba Egué, lui a donné sa fille, une Peule noble du nom de Coumba Oudé. « De cette union naquirent Moussa Moolo et d’autres enfants », précise-t-il. Avant de s’installer à Ndorna, village qu’il fonda, Alpha Moolo s’est rendu au Fouta Djallon pour poursuivre ses études coraniques et revint bien des années plus tard auréolé du titre de « Alpha ». Il appuya la révolte des Peuls de Alpha Yaya contre les Mandingues du Gabou lors de la bataille de Kansala. Sadiki Sall souligne que cet affrontement a donné à Alpha Moolo sa notoriété, son pouvoir.

Le guerrier peul mena avec ses troupes la bataille de la libération contre les Mandingues. Et grâce à l’appui des Almamys du Fouta Djallon et du Boundou, il parvint, à la tête d’une forte armée, à détruire Kansonko, dernier bastion de la domination mandingue très bien défendu. La généralisation de la révolte allait sonner l’ère de la libération du peuple peul.

Mais, révèle M. Sall, le fils était plus célèbre que le père. « Moussa Moolo a bénéficié d’un contexte qui l’a rendu plus célèbre, celui de la résistance coloniale, tandis qu’Alpha n’a pas affronté la résistance coloniale, mais plutôt le pouvoir mandingue. Autant l’adversaire est énorme, autant la résistance est grande », explique M. Sall. De l’avis du professeur, Moussa Moolo a émergé dans un terrain rugueux notamment face aux Français, aux Anglais, aux Portugais et aux adversaires locaux comme Fodé Kaba. « L’adversité était très énorme et c’est cela qui fait sa notoriété », soutient l’historien Sall.

L’avènement de Moussa Moolo La mort d’Alpha Moolo, à Dandou, marqua l’avènement de Moussa Moolo, qui avait commencé à faire ses preuves avant la disparition de son père. Il fut le digne continuateur de l’œuvre entreprise par ce dernier en réussissant à bâtir un véritable État peul. Moussa Moolo a vu le jour (entre 1845 et 1847) dans ce contexte de domination de la région par le royaume du Gabou par les Mandingues. « Autant de raisons pour s’engager dans la lutte contre les Mandingues pour récupérer ses biens qu’on lui avait volés.

Il aurait dit à ses partisans que s’ils n’allaient pas au combat, ils le subiront », relève M. Sall. Son premier affrontement contre les Mandingues a eu lieu à Kansonko, à Soutéré Kougui (le petit bois de la grosse bête). « Jusqu’en 1988, les impacts du combat étaient visibles sur les arbres. Avec la sècheresse, beaucoup de ces arbres ont disparu », ajoute l’historien, membre de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie du Sénégal.

La guerre de succession mina encore le royaume. Elle opposa d’abord son fils Moussa Moolo à son oncle (paternel) Bakary Demba.

Mais, la succession de père en fils n’est pas prévue dans le système de dévolution du pouvoir royal au Fouladou. Ce que le Conseil des notables a respecté en confiant le pouvoir à Bakary Demba, fait constater l’historien Sall, même si, par ailleurs, Alpha Moolo avait émis le souhait de voir son fils Moussa Moolo lui succéder. Ce dernier dut affronter son oncle paternel, Bakary Demba, lors de la fameuse bataille de Boguel. Face à la forte adversité de sa famille, il trouva une alternative. Il s’installa à Cita Diouba (baobab au grand tronc). De Cita Diouba, un de ses marabouts lui aurait dit, selon la tradition, s’il veut un pouvoir fort et pérenne, il faudra implanter une capitale dans un mouvement qui l’amène de l’est vers l’ouest. Il quitte ainsi Cita Diouba pour aller à Yéri Koye (l’arbre blanc). De Yéri Koye, il s’est installé à Hamdallaye Moussa. À 200 m de sa résidence, sur le côté ouest, les colons français y avaient érigé une demeure pour être à ses côtés et bien négocier avec lui.

Éternelle reconnaissance À l’époque, rapporte l’historien, les colons lui payaient les coutumes. Sa politique, ajoute-t-il, était particulière. En bon stratège et fin politicien, il profitait des rivalités franco-anglaises pour nouer des alliances en fonction de ses intérêts. Par exemple, explique Sadiki Sall, il négocie avec les Français et si ces derniers lui donnaient une bonne coutume, il reste en territoire français. Il fait la même chose avec les Anglais. S’ils proposent mieux, il va en territoire anglais. Idem avec les Portugais, si ces derniers font mieux, il descend au sud en Guinée-Bissau. « Il louvoyait les rivalités coloniales et les Français le prenaient comme quelqu’un qui n’était pas fiable bien qu’il leur ait servi », affirme l’historien.

L’histoire retiendra que Moussa Molo fut le guerrier peul qui a arrêté le marabout sarakholé, Mamadou Lamine Dramé, en Gambie, pour ramener sa tête dans un sac à Sédhiou, auprès du commandant Maclou.

« Moussa était un conquérant qui faisait peur à l’administration coloniale parce qu’il était difficile à maîtriser. Il avait une intelligence politique consistant à jouer sur les rivalités ; et les Français ne parvenaient pas à le gérer », souligne-t-il. Selon une version orale qui nous a été relatée par le griot Dialy Sana Seydi, Moussa Moolo a vengé son père Alpha Molo qui a été contraint à l’exil par Fodé Kaba du Fogny, une puissance religieuse mandingue.

Mais selon l’historien Sadiki Sall, Moussa Moolo n’a jamais réussi à prendre le dessus sur Fodé Kaba. La raison ? « Les Français ont réussi à le contenir à Hamdallaye pour éviter une collision avec les autres. Encore à Boguel, il n’était pas bien aimé. Il lui était donc impossible d’atteindre le Fogny où vivait Fodé Kaba. Il ne pouvait pas non plus passer par la Gambie parce qu’il n’était en bons termes avec les Anglais », explique-t-il.

Alpha Moolo et Moussa Moolo, héros remarquables et personnalités exceptionnelles, ont écrit les plus belles pages de l’histoire du Fouladou. Le père, décédé en 1881, à Dandou, près de Bofata, en Guinée portugaise (actuelle Guinée-Bissau), et le fils, exilé à Keserekunda, en territoire gambien où il mourut vers 1931, continuent encore de marquer les esprits dans cette partie du pays.

Pour le maire de Ndorna, Souleymane Diamanka, le camp militaire de Kolda qui porte le nom de Moussa Moolo est une forme de reconnaissance à l’héroïsme incarné par le fils du chef peul face au royaume du Gabou et aux colons. Mais pour Sadiki Sall, il s’agit là d’un besoin identitaire des populations du Fouladou.

Des envoyés spéciaux Samba Oumar FALL et Souleymane Diam SY (textes)

et Pape SEYDI

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